Une société par actions (communément appelée compagnie) est une personne morale distincte de ses actionnaires qui agit par l'entremise de ses administrateurs. Les dettes de la société par actions ne sont pas les dettes des actionnaires ou des administrateurs. Cependant, en ce qui concerne les retenues à la source, la taxe de vente du Québec (ci-après « TVQ ») et la taxe sur les produits et services (ci-après « TPS »), la loi prévoit une responsabilité spéciale pour les administrateurs.
Les dispositions législatives
Les paragraphes 323(1)et (3) de la Loi sur la taxe d'accise1 (dont la partie IX traite de la TPS) se lisent ainsi :
« 323. (1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents. [...]
Diligence
(3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. [nos soulignés]»
L'article 24.0.1 de la Loi sur le ministère du Revenu2 (qui traite de la TVQ) est rédigé dans des termes assez semblables de même que le paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt3.
La solidarité entre la société et les administrateurs fait en sorte que le risque de solvabilité du fisc est transféré aux administrateurs. Si la société est incapable de payer les sommes dues au titre des retenues ou des taxes TPS-TVQ, le ou les administrateurs sont responsables personnellement sur l'ensemble de leurs biens. C'est une arme redoutable pour le fisc qui n'hésite pas à s'en servir et qui l'emploie de plus en plus de façon systématique.
Cela dit, certains moyens de défense existent selon les faits et circonstances de chaque cas.
Moyens de défense
La prescription
La Loi sur la taxe d'accise et la Loi sur le ministère du Revenu prévoient qu'une cotisation à l'encontre d'un administrateur se prescrit par deux ans après qu'il a cessé pour la dernière fois d'être administrateur. C'est le contribuable qui a le fardeau d'établir qu'il n'est plus administrateur depuis plus de deux ans.
Il est malheureusement très fréquent de constater que les livres et registres de sociétés (communément et incorrectement appelés « livre des minutes ») sont très mal tenus. Or, la preuve la plus simple à offrir qu'une personne n'est plus administrateur d'une société est de montrer les registres de la société indiquant la démission et le retrait. Les informations relatives aux administrateurs d'une société sont également soumises à des exigences de publicité notamment en vertu de la Loi sur la Publicité légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales4.
Une personne qui cesse d'être administrateur devrait s'assurer que sa lettre de démission est consignée au registre des procès-verbaux et que les autres registres sont modifiés en conséquence et finalement que les informations publiées au Registre des entreprises du Québec le reflètent également.
Il faut savoir aussi qu'il existe le concept d'administrateur « de facto ». Le concept peut entraîner la responsabilité d'une personne qui serait dans les faits le véritable administrateur ou exonérer la personne qui apparaîtrait comme un administrateur dans les livres de la société et selon les informations publiques, mais qui n'agirait aucunement comme administrateur dans les faits parce qu'une autre personne assume ce rôle.
Radiation d'office
La radiation d’office pour une compagnie constituée en vertu de la Loi sur les compagnies5, entraîne automatiquement sa dissolution. Une compagnie dissoute n’existe plus et elle n’a plus d’administrateurs non plus. Cependant, les administrateurs « de facto » qui continuent de faire agir la compagnie deviennent personnellement responsables des actes posés.
Pour une société constituée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions6, la radiation d’office n’entraîne pas sa dissolution. Cependant, en vertu de la Loi sur la publicité légale, une société doit obligatoirement être immatriculée au Québec si elle y exerce ses activités.
Par le passé, il arrivait que les autorités fiscales fassent preuve d'indulgence et cessent de réclamer la production de déclarations de revenu et d'états financiers à des sociétés inopérantes. Il était alors tentant de cesser de produire les déclarations au Registraire des entreprises justement dans le but que la société soit dissoute. Une façon de balayer la poussière sous le tapis.
Or, la politique actuelle consiste de plus en plus à réclamer l'accomplissement de ces formalités tant et aussi longtemps que la société n'aura pas été liquidée et dissoute en bonne et due forme.
Bref, les sociétés seront dans l'obligation de produire des déclarations jusqu'à ce qu'elles soient dissoutes et liquidées suivant la loi. La Loi de l'impôt et la Loi sur les impôts prévoient que le ministre peut demander à toute personne la production d'une déclaration de revenus. Cette faculté existe que la société soit active ou non, qu'elle soit dissoute administrativement ou non (radiée d'office). Si lesdites déclarations ne sont pas produites, les personnes à qui les demandes ont été faites (administrateurs, dirigeants, actionnaires ou « ex ») sont passibles de pénalités sévères.
La diligence raisonnable
Comme nous l'avons vu dans le paragraphe 323(3) LTA reproduit ci-dessus, l'administrateur peut s'exonérer si il a agi avec diligence au sens de cette disposition. Il existe évidemment une jurisprudence abondante sur cette notion. Chaque cas doit être analysé suivant ses circonstances propres.
À titre d'exemple, dans l'hypothèse où une institution financière prend le contrôle des sorties de fonds d'une société en difficulté financière, il peut arriver que les administrateurs n'aient aucun pouvoir quant aux paiements de retenues ou de taxes. Il devient alors plausible de prétendre avoir fait preuve de diligence raisonnable.
La responsabilité des administrateurs n'est pas absolue, mais la défense de diligence raisonnable devra s'appuyer sur des éléments convaincants pour réussir.
Contestation de la dette originale
Dans la vie de tous les jours, il arrivera des circonstances où, pour diverses raisons, la société qui devait les sommes au titre des retenues ou des taxes ne conteste pas ou cesse de contester une cotisation fiscale. Pensons par exemple à une société où des différends existent entre les actionnaires et administrateurs. La société peut devenir insolvable ou en faillite et personne ne veut financer une contestation ou se donner la peine de le faire.
L'administrateur cotisé par le fisc peut prétendre à bon droit que la société ne devait pas la somme originalement. Il serait autrement difficile de conclure qu'un tiers (l'administrateur) devienne responsable d'une dette qui, si elle avait été contestée, aurait été jugée moindre ou inexistante.
On peut d'autre part penser que si la cotisation originale a été dûment contestée jusqu'en cour, il pourrait y avoir des objections à ce que l'administrateur refasse le même procès.
1 - Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, c. E-15. (ci-après « LTA »).
2 - Loi sur le ministère du Revenu, L.R.Q. c. M-31.
3 - Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supp.), c. 1.
4 - Loi sur la Publicité légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales, L.R.Q. c. P-45
5 - Loi sur les compagnies, L.R.Q. c. C-38
6 - Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C-44 |